L'eau pour la chimie clinique
Stéphane Mabic
Merck, Milli-Q® Lab Water Solutions, Guyancourt, France
Dans un laboratoire clinique, la qualité de l'eau est essentielle. Il y a deux raisons importantes à cela : la nécessité de se conformer à des normes et à des lignes directrices (telles que celles du Clinical and Laboratory Standards Institute® – CLSI®, par exemple)1 et la sensibilité des substances chimiques elles-mêmes à la qualité de l'eau. La directive du CLSI® a été rédigée pour veiller à l'utilisation d'un niveau de base de pureté de l'eau, afin que les essais de chimie clinique puissent être effectués en toute sécurité. Divisée en trois parties, cette présentation offre une analyse complète des exigences relatives à la pureté de l'eau pour divers types d'analyses, une brève description des technologies de purification et de la façon dont elles peuvent être combinées pour une efficacité optimale, ainsi qu'une courte discussion sur le rôle de l'eau dans le processus de contrôle qualité.
Prérequis concernant la qualité de l'eau pour le laboratoire clinique
Avant d'examiner les applications de chimie clinique spécifiques, il convient de noter que les exigences de base concernant l'eau au laboratoire clinique incluent :
- L'élimination des particules susceptibles de colmater les aiguilles et les tubulures et d'interférer avec la détection spectroscopique
- La vérification des niveaux de silice pour éviter la formation de dépôts dans les aiguilles, ce qui peut modifier les volumes distribués
- La réduction des taux de substances organiques et de molécules polyaromatiques, telles que les acides humiques et fulviques, qui ont des propriétés d'absorbance UV et de fluorescence élevées
Essais de chimie générale, sur les électrolytes, les lipides et les protéines
Les essais de chimie générale, sur les électrolytes, les lipides et les protéines cherchent à mesurer des ions (par ex. Ca, K, Na, Cl) et des molécules bio-organiques (glucose, acides aminés, lipides, etc.).
Lors de ces essais, les sources d'interférences incluent :
- Les ions présents dans l'eau d'alimentation
- Les bactéries, qui libèrent des ions et des molécules bio-organiques
Ces essais requièrent une qualité d'eau présentant :
- Une teneur en contaminants ioniques faible (résistivité élevée)
- Une faible teneur en bactéries
Essais en enzymologie
L'objectif des essais en enzymologie est de mesurer la présence et l'activité de diverses enzymes impliquées dans des processus biochimiques critiques.
Lors de ces essais, les sources d'interférences incluent :
- Des bactéries, qui libèrent des enzymes et des ions, dont le comportement est similaire à celui des enzymes en cours de dosage
- Des ions, dont certains sont utilisés comme co-facteurs (p. ex. Mg et Zn), tandis que d'autres sont des inhibiteurs d'enzymes (p. ex. Cd et Pb)
- Des concentrations organiques élevées, telles que les acides carboxyliques, qui peuvent se fixer aux sites actifs de certaines enzymes et former des complexes avec les métaux co-facteurs
Ces essais requièrent une qualité d'eau présentant :
- Une faible teneur en bactéries
- Une teneur en contaminants ioniques faible (résistivité élevée)
- Un carbone organique total (COT) faible
Dosages immuno-enzymatiques
Ce domaine particulièrement sensible de l'immunochimie fournit des informations critiques sur divers biomarqueurs et indicateurs de maladies spécifiques (cardiologie, régulation de la thyroïde).
Lors de ces essais, les sources d'interférences incluent :
- Des bactéries, qui libèrent des enzymes, dont le comportement est similaire à celui des enzymes utilisées dans les cascades d'amplification (phosphatase alcaline, oxydase des acides aminés) ou les méthodes de détection (phosphatase alcaline)
- Des ions, dont certains sont utilisés comme co-facteurs d'enzymes (p. ex. Mg et Zn), tandis que d'autres sont des inhibiteurs d'enzymes (p. ex. Cd et Pb)
- Des concentrations organiques élevées, où des substances organiques peuvent interférer avec le processus de fixation, inhiber les enzymes et interférer avec la détection en fluorescence
Ces essais requièrent une qualité d'eau présentant :
- Une faible teneur en bactéries
- Une teneur en contaminants ioniques faible (résistivité élevée)
- Un faible COT
Essais de toxicologie et de suivi thérapeutique pharmacologique (STP)
Les essais de toxicologie et de STP peuvent être réalisés en utilisant deux méthodes d'analyse principales : l'immunoessai et la chromatographie. Pour les méthodes à base d'immunoessai, les exigences concernant la qualité de l'eau utilisée sont similaires aux critères décrits ci-dessus.
Pour les méthodes à base de chromatographie et les techniques couplées à la spectrométrie de masse, l'exigence principale est un très faible niveau d'organiques (typiquement inférieur à un COT de 5 ppb). En effet, les substances organiques peuvent avoir une incidence sur les techniques chromatographiques en réduisant la durée de vie des colonnes, en provoquant des interférences de bruit de fond et en créant des pics fantômes.2,3
Analyse d'éléments-traces
Plusieurs métaux de transition (tels que Cr, Mn, Mb, Co) et métaux lourds (tels que Pb, Hg) sont toxiques. Ces métaux sont analysés dans le cadre de la surveillance personnelle professionnelle et en cas de maladie. Le niveau de certains autres éléments, tels que le sélénium ou les iodures, est très critique pour la santé. Il est donc particulièrement important de fournir des données exactes.
Les méthodes utilisées incluent l'absorption atomique et l'ICP-MS.
Lors de ces essais, les sources d'interférences incluent :
- Les ions, car ces derniers sont les éléments en cours de dosage
- Les bactéries qui libèrent des ions
Ces essais requièrent une qualité d'eau présentant :
- Une teneur en contaminants ioniques très faible (résistivité de 18,2 MΩ·cm)
- Une faible teneur en bactéries
Études de fixation d'acides nucléiques
Bien que toujours considérées comme des techniques émergentes, ces méthodes de biologie moléculaire se sont révélées très précieuses pour l'identification et la reconnaissance de maladies génétiques. D'une manière générale, les exigences qui s'appliquent à l'eau utilisée dans le domaine de la génomique s'appliquent également à l'eau employée par les laboratoires cliniques réalisant ce type d'études.4
Lors de ces essais, les sources d'interférences incluent :
- Des ions, p. ex. phosphate, et de nombreux ions divalents qui peuvent se fixer aux acides nucléiques et interférer avec le processus de fixation
- Des acides organiques, en particulier les acides carboxyliques et les dérivés du phosphate, qui peuvent imiter les acides nucléiques et interférer avec le processus de fixation
- L'ARN et l'ADN
- Des nucléases, qui dégraderaient l'ADN et l'ARN en cours d'analyse
- Des bactéries, qui libèrent de l'ADN, de l'ARN, des ions et des acides organiques
Ces essais requièrent une qualité d'eau présentant :
- Une teneur en contaminants ioniques faible (résistivité de 18,2 MΩ·cm)
- Une faible teneur en bactéries
- Un faible COT
- Une eau exempte de nucléases (utilisation d'ultrafiltration dans le procédé de purification)
Résumé
Après examen de divers tests et de leur sensibilité aux contaminants, il est clair que les ions et les bactéries doivent être maintenus à des niveaux les plus bas possibles pour la plupart des analyses effectuées dans les laboratoires cliniques. Cela est en parfaite conformité avec les recommandations des lignes directrices du CLSI® (résistivité > 10 MΩ·cm, bactéries < 10 UFC/ml pour l'eau de qualité réactif pour le laboratoire clinique (CLRW – Clinical Laboratory Reagent Water). Pour les laboratoires choisissant de travailler avec de l'eau de "qualité alimentation d'instruments" (IFW – Instrument Feed Water), dont les spécifications diffèrent de celles de l'eau CLRW, il est toutefois fortement recommandé de contrôler la teneur en bactéries, afin de respecter également les spécifications de l'eau CLRW concernant le niveau de bactéries. Certains autres contaminants, tels que les organiques et les sous-produits bactériens, doivent également être considérés comme des écueils potentiels dans de nombreuses analyses effectuées régulièrement.
Alors que la directive du CLSI® recommande un niveau de substances organiques inférieur à 500 ppb, il est conseillé de réduire le COT à des niveaux bas pour la plupart des analyses. Pour certaines analyses chimiques (toxicologie, analyses moléculaires), les instruments et les technologies utilisés requièrent des niveaux de COT ultra faibles (< 5 à 10 ppb) et l'utilisation d'eau SRW (Special Reagent Water). La concentration en silice doit être prise en considération pour son impact à long terme sur l'instrument. De plus, il peut être bénéfique de contrôler le niveau de silice sur une base définie.
Les technologies de purification
Une combinaison de technologies de purification est employée dans l'équipement d'un laboratoire clinique. Cette technique réduit les niveaux de contaminants et fait en sorte que l'eau délivrée à l'analyseur clinique soit de qualité constante. Voici une description de ces techniques de purification et du rôle qu'elles jouent dans les laboratoires cliniques :
- La filtration générale réduit la charge de particules entrante.
- Le charbon actif est utilisé pour éliminer les agents oxydants (chlore, chloramines, fluor) qui sont présents dans l'eau de ville pour éviter le développement des micro-organismes.
- L'osmose inverse (OI), technologie à base de membrane qui est devenue une technique standard de prétraitement par filtration, est employée pour réduire la quantité d'ions, de substances organiques, de colloïdes et de particules. Cependant, l'OI rejette un pourcentage de contaminants. La qualité de l'eau osmosée est donc susceptible de varier, en fonction de fluctuations quotidiennes et saisonnières de la qualité de l'eau de ville.
- Afin d'obtenir une qualité d'eau plus constante et de supprimer ces variations, l'électrodésionisation (EDI) est maintenant incluse dans les systèmes de purification d'eau. L'EDI élimine les ions (organiques et inorganiques). Cette technologie utilise des membranes sélectives semi-perméables aux anions ou aux cations et des résines échangeuses d'ions (IEX) qui sont régénérées en permanence par un courant électrique faible. Aucune maintenance n'est requise pour cette technologie. L'eau, après traitement par OI-EDI, a typiquement une résistivité > 10 MΩ·cm et un niveau de COT < 50 ppb (mesures hors ligne).
- À ce stade du processus de purification, l'eau est temporairement stockée dans un réservoir. En fonction des essais, de l'analyseur clinique et du laboratoire, cette eau peut être directement utilisée pour alimenter l'analyseur ou davantage purifiée. La purification additionnelle, utilisée pour atteindre l'eau CLRW, met en œuvre des résines échangeuses d'ions (IEX), qui éliminent les ions jusqu'à un niveau très faible.
- Un contrôle des bactéries peut être effectué dans les systèmes de purification d'eau et les analyseurs cliniques par différents moyens, parmi lesquels la filtration sur membrane (0,22 μm), le rayonnement UV germicide (254 nm) et la décontamination chimique (acide peracétique, eau de javel, dioxyde de chlore). Généralement, un filtre membrane de 0,22 µm est placé à la sortie du système de purification d'eau pour éviter la libération de bactéries. Cette ultime étape de filtration sur filtre 0,22 μm est recommandée par le CLSI® pour produire de l'eau CLRW. Des lampes UV émettant à 254 nm sont également utilisées pour inactiver les bactéries dans l'eau purifiée. L'UV en ligne et l'UV dans le réservoir de stockage sont des moyens efficaces de contrôler la croissance bactérienne et de prévenir la formation d'un biofilm dans le réservoir.
- Plus récemment, l'ultrafiltration a été proposée comme méthode d'élimination des sous-produits bactériens (phosphatase alcaline, endotoxines) d'importance dans les immunoessais.5
*Effets mécaniques sur la fluidique de l'instrument.
OI : osmose inverse, EDI : électrodésionisation, Résines IEX : résines échangeuses d'ions, UF : ultrafiltration, CA : charbon actif, EIA : essai immuno-enzymatique, STP : suivi thérapeutique pharmacologique.
Figure 1.Illustration de la combinaison de technologies utilisée pour construire un système de purification d'eau complet.
Les combinaisons de technologies types seront [OI-résines IEX-filtre 0,22 μm], [OI-EDI-filtre 0,22 μm] et [OI-EDI-résines IEX-filtre 0,22 μm]. Comme expliqué précédemment, les résines IEX peuvent être optionnelles, et de nombreux analyseurs cliniques sont équipés d'un système de purification d'eau qui n'inclut pas de module d'EDI. Le choix des technologies de purification dépend de la qualité d'eau requise ou sélectionnée, et du volume horaire nécessaire pour alimenter l'analyseur clinique. Cependant, il convient de noter que les deux solutions employant l'EDI permettent une réduction importante des coûts d'exploitation, car la quantité de résine IEX nécessaire pour produire de l'eau ayant une résistivité élevée est moindre. Le module d'EDI est auto-régénéré et ne contribue pas aux coûts d'exploitation. Pour les analyses chimiques spécifiques, telles que la toxicologie et les essais à base d'acides nucléiques, d'autres technologies de purification sont disponibles. Des systèmes de purification d'eau spécifiques, qui peuvent combiner IEX, charbon actif, ultrafiltration (UF) et photo-oxydation UV (UV185/254), sont généralement sélectionnés pour ces types d'expérience.
Le rôle de l'eau dans le processus de contrôle qualité
Le contrôle qualité (QC) est une des composantes des systèmes d'assurance qualité. Le QC est utilisé pour surveiller les procédures analytiques, ce qui permet de détecter les erreurs et d'éviter de délivrer au patient des résultats incorrects. Certains facteurs pré-analytiques (préparation du patient, collecte et manipulation de l'échantillon) sont difficiles à surveiller, car ils surviennent en dehors du laboratoire.
À l'inverse, les facteurs analytiques peuvent être contrôlés et optimisés pour réduire le nombre d'échecs aux tests (mauvais étalonnage, blancs élevés) et la publication de résultats erronés. Utilisée dans la plupart des essais, l'eau est un réactif majeur en chimie clinique. La qualité de l'eau doit être contrôlée tout comme d'autres variables, telles que l'étalonnage de l'instrument et les variations d'un lot à l'autre.
La maintenance préventive du système de purification d'eau et la conformité avec la directive CLRW du CLSI® sont des moyens de minimiser les problèmes lors des essais. Éviter une mauvaise qualité d'eau dans les analyseurs cliniques, particulièrement en termes de teneur en bactéries, devrait être une préoccupation du système de QC global d'un laboratoire clinique. Alors que de nombreux laboratoires se conforment aux recommandations du CLSI®, si l'eau est stockée dans l'analyseur clinique, cela devient souvent une source de contamination. Le fait d'abaisser la teneur en bactéries à l'entrée de l'analyseur (typiquement < 10 UFC/ml) réduit le risque de contamination à l'intérieur de l'analyseur et les sources d'interférence avec l'analyse.
Après stockage, l'eau, utilisée dans les cuvettes de l'analyseur pour diluer les réactifs ou rincer les tubulures et les aiguilles, n'est plus de qualité CLSI®. Le réservoir de stockage intégré, installé dans l'analyseur clinique, ne peut généralement pas être rincé et n'a pas de source d'UV pour réduire la croissance bactérienne. Ce réservoir n'est pas décontaminé ni entretenu assez souvent, et à ce stade, la qualité de l'eau est rarement contrôlée. Alors que les laboratoires se conforment aux directives du CLSI® pour garantir une qualité d'eau minimale, on laisse souvent l'eau se dégrader avant son utilisation effective.
Conclusion
L'eau influence les analyses cliniques de bien des façons. Au laboratoire clinique, considérer l'eau comme un réactif est une bonne pratique à adopter. Par conséquent, il faut apporter le plus grand soin à la qualité d'eau requise pour effectuer diverses analyses dans un laboratoire et à la manipulation de l'eau. Bien concevoir et sélectionner les unités de purification d'eau, et les entretenir de manière adéquate, peut réduire les problèmes liés à la qualité de l'eau lors des analyses cliniques. Cela diminue également l'immobilisation des instruments.
Références bibliographiques
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